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La contrée était sauvage… plus sauvage que tout ce que Sutton avait jamais vu dans les parcs au gazon bien tondu et bien arrosé de sa Terre natale. Le sol montait fortement comme s’il reposait sur le tranchant d’une lame et il était jonché de gros blocs de pierre qui semblaient avoir été jetés dans un accès de colère divine par une main géante en un passé oublié. Des falaises abruptes se dressaient vers le ciel, s’élevant massivement, masquées par d’énormes arbres qui semblaient s’être efforcés, en un temps lointain, de rivaliser avec la hauteur et la majesté des escarpements rocheux. Mais à présent ils étaient là, vaincus, résignés d’être moins que ces falaises, mais avec une certaine dignité toutefois et une certaine patience apprise sans doute dans leur effort d’autrefois.

Des fleurs se blottissaient dans les espaces entre les rocs épars ou se nichaient entre les racines moussues des plus grands arbres. Un écureuil, assis quelque part sur une branche, jacassait à la fois de colère et de ravissement, face au soleil levant.

Sutton grimpait avec peine, suivant le ravin pierreux qui partait du lit de la rivière. Parfois marchant, mais plus souvent à quatre pattes, s’accrochant pour gravir la pente.

Il s’arrêtait souvent, les talons ancrés, le dos calé contre un arbre, essuyant la sueur qui coulait sur son visage. En bas, dans la vallée, la rivière, qu’il avait trouvée trouble et boueuse alors qu’il marchait le long de la rive, avait pris une couleur bleue qui semblait défier l’azur même du ciel qu’elle reflétait. Et l’air était d’une clarté de cristal, d’une limpidité inconnue. Un faucon piqua dans l’espace immense entre l’azur du ciel et le bleu de la rivière, et Sutton eut l’impression qu’il pouvait distinguer chaque plume de ses ailes repliées.

À un moment, à travers les arbres, il aperçut devant lui la brèche dans la falaise et il sut qu’il était arrivé à l’endroit que le vieux John avait indiqué dans sa lettre.

Le soleil n’était levé que depuis deux heures et il avait encore tout son temps. Tout son temps, oui, puisque John Sutton avait parlé avec l’homme deux heures environ et était ensuite allé déjeuner.

À partir de là, l’entaille de la falaise en vue, Sutton ralentit sa marche. Il atteignit enfin le sommet et trouva le rocher dont son ancêtre avait parlé et qui était si propice au repos.

Il s’assit et contempla la vallée, heureux de profiter de l’ombre.

Et ici régnait la paix, comme John l’avait dit. La paix et la majesté tranquille du paysage devant lui… l’étrange qualité tridimensionnelle de l’espace qui planait, comme vivant, au-dessus de la vallée de la rivière. Étrange aussi, cette menace d’événements… attendus… et inattendus.

Il regarda sa montre, il était 9 heures et demie, il quitta donc le rocher, alla se coucher derrière une masse de broussailles et attendit. Presque au même moment lui parvint le bruissement doux et régulier d’un moteur, et un vaisseau, minuscule vaisseau monoplace, descendit en oblique entre les arbres pour se poser dans le pré juste au-delà de la clôture.

Un homme en sortit et s’appuya contre la machine, examinant le ciel et les arbres, comme s’il s’assurait qu’il était bien arrivé à destination.

Sutton eut un petit rire intérieur.

Mise en scène parfaite, se dit-il. Arriver inopinément avec une machine plus ou moins endommagée. Attendre qu’un homme vienne et vous parle. C’était la chose la plus naturelle du monde. Vous n’alliez pas le chercher, il vous voyait et venait, et, bien entendu, il parlait.

Vous ne pouviez pas arriver par la route, passer la barrière, aller cogner à la porte et dire :

— Je viens pour glaner tous les scandales et tous les ragots possibles sur la famille Sutton. Puis-je m’asseoir et bavarder avec vous ?

Mais vous pouviez atterrir dans une pâture avec une machine endommagée, parler d’abord de maïs et de prairie, du temps et de l’herbe, et finalement en arriver à parler de choses personnelles et familiales.

L’homme avait maintenant sorti sa clé à molette et bricolait dans sa machine.

Ce devait être à peu près le moment.

Sutton se souleva sur les coudes et regarda à travers les branches serrées du buisson de noisetiers.

John H. Sutton descendait la pente, un gros homme bedonnant, avec une barbe blanche bien taillée et un vieux chapeau noir. Le pas lourd mais décidé.